Peut-on gérer son entreprise sans comptabilité de gestion ?

par Dr Sèna John Ahyee | 2 Nov, 2019 | Finances Alternative image

L'utilisation du budget, des techniques de calcul des coûts, des indicateurs de performance économique est au coeur du contrôle de gestion et du pilotage de la performance des organisations. Or à partir des années 1980, divers travaux scientifiques critiquent vivement la planification, la budgétisation et la comptabilité de gestion. Dans cet article, nous revenons sur ces critiques et évaluons leurs conséquences sur la pratique du pilotage économique aujourd'hui.


LES LIMITES DE LA GESTION BUDGETAIRE

 

Les critiques envers la gestion budgétaire


Ainsi, selon le professeur Henry Mintzberg (i), la planification stratégique ne permet pas l’émergence de nouvelles logiques stratégiques et ne favorise pas les changements organisationnels, nécessaires à l’adaptation de l’entreprise. Elle est un style de management « calculateur » qui ne favorise pas l’engagement des acteurs.

Enfin, elle repose sur trois hypothèses présentées comme erronées : la possibilité d’anticiper l’avenir, la possibilité de dissocier élaboration et mise en œuvre de la stratégie, la possibilité de formaliser le processus stratégique.


Au-delà de la planification stratégique, le processus budgétaire qui lui est associé fait aussi l’objet de critiques.

Cette critique du budget est ancienne. Elle date notamment des années 1960-1970 avec la proposition du « zero-base budget » (ii) comme solution aux limites du budget classique. Cependant, elle trouve une nouvelle jeunesse dans les travaux de Hope & Fraser (1997, 1999) qui animent un groupe international de réflexion baptisé « Beyond Budget Round Table ».

Leur proposition phare consiste en la suppression du budget.


Dans leur discours, le processus budgétaire est accusé d’avoir émergé dans une période de stabilité économique et de n’être plus adapté à l’environnement instable d’aujourd’hui ; d’être un frein au changement radical et à l’apprentissage organisationnel ; de ne pas permettre la gestion des actifs immatériels (satisfaction clients, innovation, capital intellectuel…) ; de se concentrer sur des indicateurs comptables au lieu de contribuer à l’évaluation de la valeur pour l’actionnaire ; d’installer un cadre contraignant qui ne favorise pas la créativité (iii).


Avec cette critique du processus budgétaire, à travers les travaux du Beyond Budget Round Table, Hope et Fraser suggèrent tout simplement d’abandonner l’utilisation du budget, outil emblématique du contrôle de gestion.

 

Les critiques envers la comptabilité de gestion


Au-delà du budget qui est remis en cause, les années 1980-1990 connaissent aussi une critique forte de la comptabilité de gestion.


Robert Kaplan (iv), professeur à Harvard, synthétise quelques-unes des critiques émises contre la comptabilité de gestion : inadéquation des anciennes techniques de calcul des coûts avec le nouvel environnement de production, focalisation excessive sur la performance financière à court-terme, optimisation des indicateurs financiers par l’utilisation de techniques comptables, utilisation excessive de montages financiers, réduction des investissements en actifs immatériels


L’ouvrage « Relevance lost : the rise and fall of management accounting » (Johnson & Kaplan, 1987) qui détaille ces critiques et ouvre des pistes de renouvellement, apparaît comme un des principaux marqueurs de cette période de remise en cause.

 

Pour un renouvellement du pilotage de la performance


Pour faire suite à ces critiques, de nouveaux outils de gestion sont proposés.

Ils sont regroupés, malgré leur diversité, sous l’appellation de techniques de « gestion stratégique des coûts » (v).

En effet, la gestion stratégique des coûts se différencie de l’approche traditionnelle en comptabilité de gestion par le fait qu’elle est fondée sur les concepts suivants : analyse de la chaîne de valeur, analyse du positionnement stratégique, inducteurs de coûts.


L’analyse de la « chaîne de valeur » implique une perspective plus large que celle de la comptabilité de gestion traditionnelle. L’enjeu ici est d’optimiser chaque niveau de la chaîne de valeur, de l’approvisionnement à la commercialisation.


L’approche basée sur le positionnement stratégique, défend une nécessaire adéquation entre la logique stratégique de l’entreprise et son système de calcul des coûts. La gestion des coûts ne peut être la même dans une stratégie de domination par les coûts et dans une stratégie de différenciation.


L’approche basée sur les inducteurs de coûts vise une meilleure maîtrise des coûts, par une meilleure compréhension de leurs causes. L’objectif est de mettre en évidence des inducteurs plus pertinents que ceux volumiques traditionnels. L’activity based costing (ABC) est l’outil de gestion représentatif de cette approche.


A la suite de cette période, les outils de comptabilité de gestion proposés aux entreprises se sont étoffés. Cela s’est illustré dans les formations par le développement de modules sur la comptabilité à base d’activité (ABC), l’analyse de la chaine de valeur, le target costing (technique du coût cible)…


Malgré ce foisonnement intellectuel à l'oeuvre depuis les années 80, les observateurs identifient des évolutions très lentes au niveau des organisations.


Ainsi la gestion budgétaire et les méthodes de calcul de coût classiques (coût complet, coût partiel, coût marginal...) restent très présentes dans les entreprises. Cela peut s'expliquer par le surcoût engendré par la mise en place des nouveaux outils au regard de leurs apports réels.

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i Henry Mintzberg, « The Fall and Rise of Strategic Planning », Harvard Business Review January-February (1994): 107-14.

ii Geoff Burrows et Barbara Syme, « Zero-Base Budgeting: Origins and Pioneers », Abacus 36, no 2 (2000): 226-41.

iii Simon Alcouffe, Nicolas Berland, et Yves Levant, « “Succès” et “échec” d’un outil de gestion: Le cas de la naissance des budgets et de la gestion sans budget », Revue Française de Gestion 8, no 188?89 (2008): 291-306.

iv Robert S. Kaplan, « The Evolution of Management Accounting », The Accounting Review, 1984, 390-418.

v John K. Shank, « Strategic Cost Management: New wine, or Just New Bottles? », Journal of Management Accounting Research 1 (1989): 47-65.


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Cet article est proposé par notre partenaire SJA FORMATION, cabinet de conseil et formation en management, contrôle de gestion, RSE (responsabilité sociétale des entreprises).


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Dr Sèna John Ahyee

Sèna est Docteur en Sciences de Gestion de l'Université de Montpellier et consultant en pilotage d'entreprise. Il enseigne depuis une dizaine d'années la comptabilité, le contrôle de gestion, le management, la RSE à l'Université et dans de nombreuses écoles de Commerce. Comme consultant, il réalise des études économiques et accompagne les entrepreneurs et chefs d'entreprise dans la mise en place de systèmes de pilotage.

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